Présentation Politique de l'Inde

Le Système des Partis en Inde

Le système politique indien est un système dit de "multipartisme" avec néanmoins une prédominance de petits partis régionaux. Les différents types de partis sont répertoriés par la Commission Electorale comme suit: des parties nationaux, des partis d'état et des partis régionaux.
Le Parlement indien compte actuellement 37 parties politiques dans ses rangs.





Parmi les partis nationaux:
  • Le Parti du Congrès  
Fondé en 1885, il représente le parti du 'Mouvement Nationalist'. 
Il fût présidé en 1924 par Mohandas Karamchand Gandhi. Le parti inclut une large variété d'acteurs, il est séculier et serait plus généralement qualifié de centre-gauche. Il conduit à une alliance pour une Union progressive du pays. Il est actuellement le parti dirigeant à l'échelle nationale et est également majoritaire dans de nombreux états. Sonia Gandhi, veuve de l'ancien Premier Ministre Rajiv Gandhi, descendante de la famille Nehru-Gandhi en est l'actuelle présidente. 
Le drapeau du parti n'est autre que celui du pays (rappelons que les couleurs de celui-ci sont la représentation symbolique des deux groupes ethniques majoritaires en Inde, à savoir les hindous et les musulmans auxquels on associe respectivement les couleurs Orange et Verte) avec en son centre le symbole du parti, la main droite. 
  • Le Bharatiya Janata Parti (BJP)
Fondé en 1980, il est actuellement le second parti politique indien en terme de représentation parlementaire. Il s'agit d'un parti nationaliste hindou et est associé à l'aile droite conservatrice. 
Il conduit à une alliance démocratique nationale. Le parti accompli un mandat complet de 5ans entre 1999 et 2004. Il est actuellement au pouvoir dans de nombreux états. Rajnath Singh est l'actuel président du parti.
Sur le drapeau du parti figure la fleur de Lotus, symbole de l'hindouisme avec en générale une prédominance de la couleur orange, bien même que sur certaines images la couleur verte (symbole de l'islam) n'apparaissent même pas.


  • Le Bhaujan Samaj Parti (BSP)

Fondé en 1984, il se réclame être la représentation politique des Dalits (les Intouchables). Le parti prit de l'ampleur pendant les années 1990. Il est essentiellement présent dans le Nord de l'Inde, dans Uttar Pradesh tout particulièrement. Le combat politique de ce parti vise à l'affirmation de la présence des Dalits, cette caste culturellement inférieure qui est encore bien trop souvent victime d'ostracisme et de stigmatisation dans tous les domaines de la société indienne. Le parti revendique également s'inspirer de la philosophie de B. R. Ambedkar   (cf. article ci-dessous). Le parti suit actuellement le leadership d'une figure emblématique de la politique indienne, Mayawati.
Sur le drapeau, cette fois-ci il ne figure pas les couleurs de l'Inde, mais simplement un Elephant au dessus duquel on retrouve la roue du drapeau Indien. En effet, comme il est rappelé dans la Présentation Culturelle de l'Inde, l'Elephant n'est autre que la représentation allégorique de la caste inférieure. L'animal connu pour son imposante posture n'a évidemment pas été choisi au hasard, mais afin d'illustrer l'importance et la force grandissante de cette caste. 


IBN Live: 60 Defining Moments of Indian History

Ce site liste donc 60 évènements de l'histoire indienne parmi lesquels vous pouvez voter pour définir les 10 qui selon vous ont été les plus décisifs.
Lien:http://features.ibnlive.in.com/features/2007/definingmoments/vote.php



Célébration du 64ème Jour de la République



En effet, le 26 Janvier dernier l'Inde célébrait les 64 ans d'existence de sa République. Le défilé fût diffusé sur la chaîne national indienne (DD National) est disponible ici en intégralité.


Article sur la figure emblématique d'Ambedkar

par Jules NAUDET

Vu de France, on ne retient généralement que deux figures de la lutte pour l’indépendance indienne : Gandhi et Nehru. Notre fascination pour ces deux personnalités est certainement le reflet d’une tendance à occulter la complexité de la société indienne pour n’en retenir que certaines images d’Épinal, telle celle de l’idéologie gandhienne de la non-violence. Ce récit de l’indépendance nationale masque également la persistance de forts clivages sociaux, culturels, linguistiques et géographiques. L’indépendance n’a notamment pas fait disparaître la société de castes, loin de là. La figure d’Ambedkar, souvent négligée, et pourtant fondamentale aux yeux d’une grande partie de la population indienne, permet de mieux comprendre une partie de la complexité des enjeux de la lutte pour l’indépendance.
Juriste et homme politique, Bhimrao Ramji Ambedkar a profondément marqué la société indienne pour au moins trois raisons majeures : il a eu une influence capitale dans la rédaction de la Constitution de l’Inde, il a placé les personnes considérées comme « intouchables » au centre de la vie politique indienne et, enfin, il a initié un renouveau du bouddhisme en Inde. Il est également l’auteur d’une œuvre extrêmement riche dont l’impact sur la société indienne est certainement aussi fort que celui qu’ont pu avoir les écrits de Gandhi ou de Nehru, même si le profil sociologique des lecteurs de ces œuvres tend à être très différent. En effet, la référence à Ambedkar structure avant tout le mouvement dalit [1] contemporain et l’affecte dans ses dimensions à la fois politiques, sociales et artistiques. Pourtant, bien qu’il continue d’être une référence incontournable en Inde, le « père de la Constitution indienne » passe souvent au second plan des récits de la période de la lutte pour l’indépendance, qui, écrits d’un point de vue occidental, sont presque exclusivement centrés sur la question de l’émancipation du joug colonial. Revenir sur le rôle joué par Ambedkar permet d’envisager les relations complexes et non linéaires entre conscience nationale, structures sociales et croyances religieuses qui animent la société indienne. Ambedkar incarne une autre vision de l’indépendance, partiellement défaite mais toujours vivace, fondée sur la remise en cause radicale du caractère hindou et hiérarchique de la société indienne.

L’entrée dans la lutte politique

Bhimrao Ramji Ambedkar (fréquemment surnommé « Babasaheb ») [2] est né le 14 avril 1891 à Mhow, dans le Madhya Pradesh, un État du centre de l’Inde. Il était le quatorzième enfant d’une famille de caste mahar, caste originaire du Maharashtra dont les fonctions traditionnelles couvrent notamment le nettoyage des carcasses d’animaux morts, et qui est considérée par la plupart des hindous comme « intouchable ». Puisque son père servait dans l’armée britannique et vivait dans une ville de garnison, Ambedkar a pu bénéficier d’un accès plus aisé à l’éducation [3]. Ses qualités intellectuelles lui valurent d’être vite repéré par ses enseignants et l’un d’entre eux intercéda en sa faveur auprès du maharadjah de Baroda qui finança ses études au prestigieux Elphinstone College de Bombay, puis à Columbia University à New York. Il obtint enfin un doctorat en économie à la London School of Economics en 1922. De retour en Inde, il s’inscrit au barreau de Bombay où il s’installe comme avocat.
Son établissement à Bombay en tant qu’avocat se solde vite par un échec : victime de discrimination en raison de sa caste, Ambedkar ne parvient pas à trouver de client à défendre et il prend donc la voie de l’action militante. En 1924, il lance la Bahishkrit Hitakarini Sabha (Association des victimes de l’ostracisme) qui avait pour vocation première d’abolir le système d’exploitation baluta qui fixait la rétribution en nature des Mahars, et d’aider ceux-ci à faire valoir leurs droits. Cette association se donnait en fait pour mission d’être au service de tous les « intouchables », et d’autres castes y étaient également représentées (Dhors et Chambhars notamment). Son mot d’ordre, demeuré célèbre, était « Educate, Agitate, Organize  » (« S’éduquer, mobiliser, organiser »).
À cette période, Ambedkar multiplie les actions non-violentes pour affirmer le droit des « intouchables » à entrer dans les temples et à tirer de l’eau des puits ou des réservoirs traditionnellement réservés aux castes dites « supérieures ». En 1927, accompagné de plusieurs milliers de personnes, il boit ainsi l’eau d’un réservoir (Chowdar Tank) théoriquement ouvert aux intouchables mais dont l’accès leur était en pratique interdit. Cette transgression symbolique fut suivie, lors de la seconde conférence de Mahad, le 25 décembre 1927, par un puissant discours appelant à l’abolition totale du système de caste. Il faudra cependant attendre 1937 pour que les tribunaux rendent un jugement déclarant libre l’accès au réservoir de Mahad.
Parallèlement à ses activités militantes, Ambedkar continue de signer très régulièrement des textes théoriques ou politiques sur la question de la caste. Il publie ainsi dès 1917 un rapport sur ce sujet initialement présenté lors d’un séminaire à l’université de Columbia, et il poursuivra ce type d’activité jusqu’à la fin de sa vie. Ses écrits témoignent très vite d’une prise de distance avec la stratégie de sanskritisation (c’est-à-dire l’imitation des pratiques des castes brahmanes, notamment le végétarisme), qui constituait jusqu’alors le seul moyen accessible aux basses castes pour s’élever sur l’échelle de la pureté rituelle des castes, et d’un rejet radical de l’hindouisme au profit de l’individualisme égalitaire qui caractérise les démocraties occidentales.

Le bras de fer contre Gandhi

De 1919, date à laquelle Ambedkar est entendu par le comité Southborough chargé de redéfinir la franchise électorale dans le cadre de la réforme constitutionnelle (le Government of India Act de 1919), à 1927, lorsqu’il est nommé par les autorités britanniques au Conseil législatif de la Présidence de Bombay, Ambedkar a progressivement développé la revendication d’un système d’électorats séparés, dans lequel seuls les membres des depressed classes (terme en usage à l’époque pour désigner les populations dites « intouchables ») votent pour des candidats qui ne peuvent être que des personnes issues des mêmes depressed classes. Ambedkar réaffirme cette position lors des deux « Conférences de la table ronde » auxquelles il participe en 1930 et en 1931. Le premier ministre britannique J. Ramsay MacDonald répond favorablement à cette demande en août 1932 dans le Communal Award, qui sera suivi par le Poona Pact en septembre.
Mais cette décision entraîne aussitôt une vive réaction de Gandhi qui, craignant que cette décision ne remette en cause l’unité des hindous, entame un jeûne qu’il menace de poursuivre jusqu’à la mort. Gandhi reste en effet attaché à l’idée que l’intégration dans la société indienne doit se réaliser au travers de l’affiliation, nécessairement hiérarchique, à un système de castes qui est seul à même de garantir l’interdépendance sociale, économique et rituelle de ses membres. La position de Gandhi, pour qui l’intouchabilité était « le cancer de l’hindouisme », se distinguait de celle d’Ambedkar en ce qu’il considérait que ni le système des castes ni, évidemment, l’hindouisme n’étaient intrinsèquement mauvais. Dans une conversation avec Patel, l’un des principaux leaders du Congrès, deux jours après le début de son jeûne, Gandhi va, d’une manière qui demeure exceptionnelle, jusqu’à avancer un argument qui témoigne de préjugés de haute-caste et d’une défiance forte à l’égard des musulmans et des « intouchables » : « [Les intouchables] ne se rendent pas compte qu’un électorat séparé créera des divisions parmi les hindous de telle sorte que cela conduira au bain de sang. Des voyous intouchables feront cause commune avec des voyous musulmans et tueront des hindous de caste. Les britanniques n’ont-ils pas songé à tout cela ? Je pense que si » [4].
L’épreuve de force dure plusieurs jours. Ambedkar est finalement contraint de céder et d’accepter la proposition alternative de Gandhi d’un système de sièges réservés dans lequel seuls des membres des depressed classes seraient élus, mais par un collège électoral ouvert à tous les électeurs de la circonscription. Les depressed classes n’étaient cependant majoritaires dans aucune circonscription.

La création de partis politiques

En 1936, Ambedkar crée son premier parti politique, l’Independant Labour Party (ILP), qui se veut un parti dépassant les simples appartenances de classe et défendant l’intérêt de tous les travailleurs indiens. Conscient de la nécessité d’élargir son assise sociale, Ambedkar tente de s’ériger en leader des « masses laborieuses ». Lors des élections de 1937, son parti parvient ainsi à obtenir douze des quinze sièges qu’il briguait. Cependant, les contradictions de ce parti, prétendant représenter tous les travailleurs mais composé majoritairement de militants issus de castes dites « intouchables », apparurent vite et Ambedkar fut contraint de le remplacer par la Scheduled Castes Federation (Fédération des castes répertoriées). Comme le nom de l’organisation l’indique, ce changement marque une inflexion de la stratégie politique d’Ambedkar qui entend se recentrer sur la question de la caste. Prenant ses distances avec le discours marxiste et la dénonciation du capitalisme, Ambedkar choisit de se replier sur le noyau dur de sa base électorale. Les élections de 1946 sont pourtant un cuisant échec pour ce nouveau parti, Ambedkar ne parvenant même pas à conserver son propre siège.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Ambedkar apporte un soutien fort aux Britanniques, alors que le parti du Congrès préfère se retirer des institutions politiques pour dénoncer l’implication de l’Inde dans un conflit qui ne la concerne pas directement. Espérant beaucoup du soutien des Britanniques, il considère que ceux-ci ont fait plus pour l’émancipation des depressed classes que n’importe quel parti indien [5]. Cette coopération renforce par conséquent son inimitié avec le Congrès et lui a longtemps valu d’être taxé de traître à la nation, d’anti-national ou de pro-colonial.

Le père de la Constitution indienne

Malgré l’échec d’Ambedkar aux élections de 1946, le Congrès, qui souhaite se poser en rassembleur de la nation, fait appel à lui, et Nehru, sur la demande de Gandhi, le nomme ministre de la Justice. Bien plus encore, Ambedkar rejoint l’Assemblée constituante et, impressionnant de nombreux congressistes par sa maîtrise du droit et par les solutions de compromis qu’il propose, est nommé chef du drafting committee en charge de la rédaction de la Constitution. Ambedkar pouvait donc défendre à l’Assemblée constituante les principes politiques dont il s’était imprégné durant ses études aux États-Unis et en Angleterre. Il propose notamment la mise en place d’un système judiciaire d’inspiration britannique, opposant ainsi une dynamique centralisatrice à l’option défendue par Gandhi en faveur d’une décentralisation du pouvoir jusqu’au niveau du village. Son influence est considérable tout au long de l’élaboration de ce texte, et il parvient avec beaucoup de diplomatie et d’habileté politique à marginaliser l’influence des thèses gandhiennes. La Constitution, promulguée le 26 janvier 1950, porte donc l’empreinte forte d’Ambedkar, qui a veillé à la codification des droits fondamentaux et à la garantie de l’implication de l’État dans la réforme de la société : l’intouchabilité est abolie et toute forme de discrimination est prohibée.
Cependant, Ambedkar ne parvient pas à imposer sa volonté de faire adopter un Code civil d’inspiration occidentale. Son projet d’un Code civil pour les hindous (Hindu Code Bill) remet en cause de nombreuses coutumes régissant la vie privée des hindous (particulièrement en termes de mariage, de divorce, d’égalité des sexes, d’héritage et de droit de propriété) et suscite de nombreuses critiques au sein de l’Assemblée. Nehru, qui pensait que cette loi était nécessaire à la modernisation de la société indienne et qui avait assuré Ambedkar de son soutien indéfectible sur ce point, recule finalement sous la pression des franges les plus traditionalistes du Congrès (et particulièrement de Rajendra Prasad, président de l’Assemblée constituante, devenu président de la République indienne) et de la très forte mobilisation de nombreuses associations hindoues : ce projet suscitait en effet un émoi profond chez ces personnes qui craignaient que la loi ne bouleverse trop radicalement l’ordre social hindou. Désavoué, Ambedkar adresse sa lettre de démission le 27 septembre 1951.

La conversion au bouddhisme

Après ce revers, Ambedkar se déclare dégoûté par la politique, même s’il ne se retire pas complètement de la vie publique. Il participe aux premières élections générales de l’Inde indépendante en 1952, mais ne parvient pas à se faire élire au Parlement. L’année suivante, il échoue à une autre élection partielle. En 1956, juste avant sa mort, il pose les bases d’un nouveau parti, le Republican Party of India (RPI).
Mais Ambedkar consacre surtout l’essentiel de son énergie à un autre projet. En 1935, il avait juré publiquement qu’il ne mourrait pas hindou : l’hindouisme, bien qu’étant sa religion de naissance, était pour lui consubstantielle à la domination de caste. Après avoir exploré différentes pistes, son choix se porte sur le bouddhisme, en raison de sa dimension égalitaire, comme il l’affirme le 3 octobre 1954 lors d’une interview radio :
« Ma philosophie sociale se trouve positivement résumée par trois mots : liberté, égalité, fraternité. N’allez pas dire cependant que j’ai tiré ma philosophie de la Révolution française. Ce n’est pas le cas. Ma philosophie s’enracine dans la religion et non dans la science politique. Je l’ai tirée des enseignements de mon maître, le Bouddha. […] Ma philosophie est assortie d’une mission. Je dois œuvrer en faveur de la conversion » [6].
Ambedkar se convertit donc au bouddhisme à Nagpur, le 14 octobre 1956, le jour de la fête hindoue de Dasahra. Plusieurs centaines de milliers de personnes issues de castes « intouchables » s’étaient déplacées pour se convertir en même temps qu’Ambedkar. Ambedkar mourut peu de temps après, le 6 décembre 1956. Sa crémation fut l’occasion d’une nouvelle conversion de masse.
La conversion d’Ambedkar au bouddhisme, quelles qu’en soient les limites en termes d’efficacité politique, est certainement l’acte de sa vie qui reflète le mieux l’empreinte qu’il a laissée sur la société indienne. Par ce choix qui symbolise une sortie totale de l’hindouisme, Ambedkar a entamé un processus de lutte et de résistance au pouvoir que constituent l’hindouisme et le système des castes. Il a su mettre en évidence, et diffuser, l’idée que la résistance à l’hindouisme devait se jouer à tous les niveaux de l’existence : au niveau de la politique institutionnelle certes, mais aussi au niveau religieux. Or Ambedkar n’ignorait certainement pas que la sortie de l’hindouisme implique un renversement de tous les instants : cet acte modifie les interactions sociales, le rapport à son corps et aux corps des autres, le rapport à l’idéologie, le rapport au travail, bref le rapport au pouvoir dans toutes ses dimensions les plus infimes [7]. Aucun « intouchable » décidant de sortir de l’hindouisme ne peut échapper aux contraintes pratiques et quotidiennes d’un tel choix, et pour gérer ce saut dans l’inconnu, la figure d’Ambedkar s’est imposée comme le modèle de référence par excellence. Son portrait occupe une place d’honneur sur les murs de très nombreux foyers dalits et Ambedkar demeure la figure exemplaire par excellence pour beaucoup de familles dalits.
Guy Poitevin est sans doute l’auteur qui a le mieux objectivé l’importance de cette immixtion de la figure d’Ambedkar au plus profond du système de représentations des dalits [8]. Par ses travaux sur le chant des paysannes de caste mahar moulant la farine (ce qu’il appelle « le chant des meules »), il est parvenu à mettre en évidence la manière dont la figure d’Ambedkar s’est insérée dans une langue, le marathi, et dans une pratique quotidienne et culturelle, le chant des meules. L’intérêt du travail de Guy Poitevin est de montrer que cette figuration d’Ambedkar « n’a pas pour référent ultime Ambedkar et son œuvre comme phénomène social et politique en soi, dont les chanteuses feraient un objet de réflexion et de savoir, ou la matière d’un plaidoyer de transformation sociale, voire d’une réécriture de l’histoire qui serait le récit “authentique” des subordonnés » (p. 340). Bien au contraire, pour Guy Poitevin, ces efforts de figuration d’Ambedkar consistent en l’incarnation d’une quête de soi de la conscience dalit : « La figuration d’Ambedkar remplit la fonction d’un miroir. En affichant et en objectivant dans l’imaginaire le portrait qu’elle dessine d’Ambedkar pour en garder le souvenir tel un dépôt de bonheur en banque [référence à l’un des chants], la conscience tend à se reconnaître elle-même telle qu’elle voudrait être. »
À travers la mobilisation de la figure d’Ambedkar, les dalits opèrent donc une reconquête imaginaire de leur propre identité. On comprend mieux alors le souci constant qu’a pu accorder Mayawati, premier ministre de l’Uttar Pradesh et dirigeant du Bahujan Samaj Party, le plus important parti dalit d’Inde, à faire construire, notamment lors de son quatrième mandat débuté en 2007, de très nombreuses statues d’Ambedkar [9]. Aujourd’hui encore, la lutte contre la domination de caste, quelle que soit la forme qu’elle prend, ne peut se faire sans référence à la figure d’Ambedkar.

Une invitation à repenser la question postcoloniale en Inde

L’emprise de la figure d’Ambedkar sur l’imaginaire collectif indien est similaire, par bien des aspects, à celle de la figure de Gandhi, et il n’est donc pas étonnant que l’affrontement entre Ambedkar et Gandhi continue également à marquer la société indienne. L’empreinte de leur affrontement ressort de manière particulièrement aiguë lorsque l’on s’efforce d’intégrer la question de la caste à une réflexion sur le postcolonialisme en Inde. En effet, la question de la caste oblige, de manière quasi automatique, à prendre de la distance avec des schémas binaires tels que celui opposant la culture du colonisé à la culture du colonisateur, que l’on retrouve dans certaines analyses postcoloniales. Le mouvement dalit, à l’image d’Ambedkar, entretient en effet un rapport ambigu avec la mémoire de la présence britannique en Inde. Les symptômes de cette ambivalence mémorielle sont nombreux et peuvent parfois prendre des formes extrêmes et inattendues. Ainsi l’essayiste dalit Chandra Bhan Prasad en vient à faire l’apologie de la « Minute on Education  » de Macaulay, cible récurrente de la critique postcoloniale la plus traditionnelle [10]. Dans cette « Minute on Education », Macaulay, membre du Conseil du gouverneur général, affirmait en effet vouloir « former une classe d’individus indiens par le sang et la couleur de peau, mais anglais par leurs goûts, leurs opinions, leurs idées morales, leurs conceptions intellectuelles », et proposait en conséquence de favoriser la diffusion d’un enseignement de qualité en anglais auprès des élites économiques et culturelles indiennes.
Cette position à la fois nostalgique et polémique n’est cependant pas le seul privilège de quelques essayistes provocateurs : d’autres auteurs occupant des positions moins marginales au sein du monde académique mettent également en avant la difficulté des Dalits à trouver leur place dans la trame narrative gandhienne, ou même nehruvienne, de la lutte pour l’indépendance. Les travaux du sociologue Hugo Gorringe montrent notamment comment les Dalits les plus humbles construisent parfois leur identité sociale et leur sentiment d’appartenance à la nation autour d’un discours très critique à l’égard de l’État-nation indien qui se donne pourtant pour vocation de transcender les identités « étroitement segmentaires », telle celle de la caste [11]. Dans une perspective très proche, mais avec des mots nettement plus forts, M. S. S. Pandian défend l’idée que tous les discours sur la « modernité » de la société indienne postcoloniale conduisent à chasser la question de la caste hors de la sphère publique [12]. Les discours sur l’Inde postcoloniale, produits d’un habitus de « caste supérieure », seraient donc marqués par une tendance à rendre la caste invisible.
De telles critiques obligent donc à cheviller la question de la caste et de l’identité sociale des Dalits à la production d’une pensée postcoloniale de l’Inde indépendante [13]. Mais elles obligent également à s’interroger sur les origines d’une telle perspective critique. C’est notamment dans la vie et dans l’œuvre d’Ambedkar que l’on pourra trouver de nombreuses réponses à cette interrogation.
par Jules Naudet [27-11-2009]

Notes

[1] Le terme dalit, qui provient du marathi, signifie littéralement « brisé et opprimé ». L’Arya Samaj, mouvement réformateur de l’hindouisme, puis Ambedkar, dès les années 1930, ont été les premiers à utiliser ce terme pour désigner les membres des castes anciennement intouchables dans la sphère publique. Cependant le terme s’est réellement popularisé à partir de 1973 avec la publication du manifeste des Dalit Panthers. Au départ éminemment politique car impliquant une posture de lutte, le terme dalit est aujourd’hui souvent mobilisé comme un terme politiquement correct pour se référer à l’ensemble des groupes anciennement intouchables (mais toujours victimes, de fait, de l’intouchabilité).
[2] Pour les éléments biographiques présents dans cet article, nous nous sommes principalement appuyés sur l’ouvrage de Christophe Jaffrelot, Dr Ambedkar. Leader intouchable et père de la Constitution indienne, Paris, Presses de Sciences Po, 2000. En plus des ouvrages les plus célèbres publiés par Ambedkar lui-même, nous recommandons également une compilation de ses textes les plus importants sur l’exclusion sociale en Inde et les politiques pour lutter contre celle-ci par S. K. Thorat et N. Kumar (dir.), B.R. Ambedkar : Perspectives on Social Exclusion and Inclusive Policies, New Delhi, Oxford University Press, 2008.
[3] Les Mahars qui avaient longtemps été recrutés par l’armée de l’Empire marathe avaient ainsi pu faire valoir cette longue présence pour entrer de manière significative dans l’armée britannique. L’enrôlement dans l’armée britannique constitua un véritable tremplin pour l’ascension sociale de ce groupe.
[4] Cité par C. Jaffrelot, op. cit., p. 112. Pour davantage d’éclairages sur l’opposition entre Gandhi et Ambedkar, voir E. Zelliot, « Gandhi and Ambedkar. A Study in Leadership », in J.M. Mahar (dir.), The Untouchables in Contemporary India, Tucson, The University of Arizona Press, 1972.
[5] Le rôle joué par les Britanniques quant à la question de la caste est hautement ambigu. D’un côté, l’usage constant et essentialiste qu’ils faisaient des catégories de caste dans leur gestion du pays a conduit à renforcer et à rigidifier la réalité sociale de cette institution (voir notamment Bernard S. Cohn, An Anthropologist among the Historians, Delhi, Oxford University Press, 1987, et Nicholas Dirks, Castes of Mind. Colonialism and the Making of Modern India, Princeton, Princeton University Press, 2001) ; de l’autre côté, les Britanniques ont très tôt cherché à développer l’éducation des basse-castes et ils ont été les premiers à introduire le système des quotas dans la représentation politique (voir Christophe Jaffrelot, « Inde : l’avènement politique de la caste », Critique Internationale, n° 17, octobre 2002). Mais ce sont surtout les valeurs égalitaires qu’Ambedkar considère avoir été le principal apport des Britanniques : il espère que leur consolidation permettra une protection contre les « hindous de caste ».
[6] Cité par Jaffrelot, op. cit., p. 202.
[7] En effet, les implications de la conversion étaient nombreuses. Le renoncement à l’hindouisme modifiait immédiatement la relation avec les membres des castes supérieures du village et entraînait l’abandon, souvent difficile, des anciennes pratiques religieuses hindouistes qui rythmaient et structuraient le quotidien. Cet effort de déculturation brutale faisait nécessairement naître de nombreuses interrogations sur l’attitude à tenir à l’égard des interdits et des tabous qu’impliquait la soumission à l’ordre brahmanique.
[8] Guy Poitevin (en collaboration avec Hema Rairkar), Ambedkar ! Des intouchables chantent leur libérateur : Poétique d’une mémoire de soi, Paris, Karthala, 2009.
[9] Sur les enjeux autour de la construction de statues d’Ambedkar, voir Nicolas Jaoul, « Learning the use of symbolic means : Dalits, Ambedkar statues and the state in Uttar Pradesh », Contributions to Indian Sociology, vol. 40, n° 2, 2006, p.175-207.
[10] C. B. Prasad, Dalit Phobia. Why Do They Hate Us ?, New Delhi, Vitasta, 2006.
[11] H. Gorringe, « The caste of the nation : Untouchability and citizenship in South India », Contributions to Indian Sociology, 42, 1, 2008, p. 123-149.
[12] M. S. S. Pandian, « One step outside modernity : caste, identity politics and public sphere », Sephis-Codesria Lecture No. 4, Amsterdam/Dakar, Council for the Development of Social Science Research in Africa, 2001.
[13] Pour une réflexion approfondie sur la question de l’articulation entre caste et postcolonialisme voir Debjani Ganguly, Caste, Colonialism and Counter-Modernity : Notes on a Postcolonial Hermeneutics of Caste, Londres, Routledge, 2005.





The Age of the Elephant: The Politics of Caste in Uttar Pradesh
Article sur l'évolution de la condition des Dalits allégoriquement incarnés à travers l'image de l'éléphant. 
Publié par Marissa Dearing dans le The Yale Globalist, le 3 Mars 2012.



"Où en sont les Dalits en Inde?"
Article par Christian Melon sj

On les appelait "intouchables" ; c'est sous ce nom, qui évoque bien l’aspect le plus concret de leur situation, qu’ils sont en général évoqués dans nos pays. Mais le mot "dalits" (les "opprimés", les "brisés") s’est généralisé en Inde, notamment dans les milieux plus militants. Les moins politisés utilisent encore l’appellation que leur avait donnée Gandhi : « Harijan » (enfants de Dieu). Autre appellation, celle du jargon administratif officiel : ce sont les membres des « scheduled castes » (SC). Un autre terme, plus sociologique, se réfère à la source de leur exclusion : ce sont des "hors-castes", car ils ne font pas partie de l’une des 4 castes qui structurent le corps social, depuis des millénaires, brahmines, kshatryas, vaishas, sudras. De la naissance à la mort, chacun fait partie d'une de ces quatre grandes castes, elles-mêmes subdivisées en des milliers de jati. Cette division est à la fois fonctionnelle - chacune de ces castes correspond à un type d'activité : prêtres, guerriers, artisans-marchands, agriculteurs - et religieuse, les mythes hindous attribuant à chaque caste son origine dans une des parties du corps du dieu : la tête, les épaules, le ventre, les jambes. Les « hors-castes », eux, n’ont pas d’origine dans ce corps divin.
Ainsi exclus du corps social comme du corps symbolique, les dalits ne sont pas vraiment considérés comme des humains. La tradition leur réserve les tâches répugnantes, celles notamment qui sont sources d'impuretés rituelles : contacts avec les immondices (éboueurs, nettoyeurs des toilettes publiques), avec les cadavres d'animaux (équarisseurs, tanneurs), avec les saletés (laveurs de linge). S'ils sont "intouchables", c'est parce que leur simple contact est "impur", selon la connotation rituelle du terme. Un brahmine qui, par accident, entre en contact direct ou indirect avec un intouchable (en buvant dans le même gobelet, par exemple) devra accomplir toute une série de rites de purification.
Telle est leur situation dans la société traditionnelle. Mais qu'en est-il dans l'Inde d'aujourd'hui, où ils constituent 17% de la population, soit presque 185 millions de personnes, sur 1,18 milliards ?

Des textes satisfaisants

La Constitution de 1950 a été rédigée par le Dr Ambedkar, un des très rares dalits qui, à l'époque britannique, avait eu accès à l’éducation supérieure, un homme qui symbolise aujourd'hui le mouvement d'émancipation des dalits et dont on voit le portrait ou la statue partout. Inspirée par les idéaux humanistes et « séculiers » des artisans de l'indépendance (Gandhi, Nehru, le parti du Congrès), elle abolit l'intouchabilité, mais pas les castes. Son article 17 interdit toute discrimination fondée sur « la religion, la race, la caste, le sexe ». Il précise que tous doivent avoir accès aux « puits, réservoirs, lieux d’ablutions, routes ». Alors que la tradition lie l'appartenance à une caste et l'exercice d'un métier, la Constitution reconnaît à chaque citoyen le  droit d’exercer la profession de son choix et interdit tout travail forcé.
Dès le début des années 50, les membres des « scheduled castes" font l'objet de mesures de "discrimination positive" : des sièges leur sont réservés pour la représentation politique, des quotas sont fixés pour l'accès à l'Université et aux emplois publics, jusque là monopoles des hautes castes. Des lois spécifiques sont votées (en 1955, puis en 1989) pour préciser les peines encourues par ceux qui agressent les intouchables : meurtres, agressions, viols, incendies volontaires, mais aussi ce qu'on appelle "atrocities", notion qui recouvre des pratiques encore fréquentes telles que déverser devant chez eux des matières fécales, des ordures, des carcasses d’animaux, les déshabiller ou couvrir de peinture, occuper ou cultiver indûment des champs leur appartenant, empoisonner leurs puits, leur refuser l’accès à un point d’eau, etc.

La réalité : sombre

Ces mesures ont eu quelques effets, notamment en matière d'éducation. Prenant peu à peu conscience de leur situation, les dalits ont commencé à s'organiser pour revendiquer leurs droits (pas encore les "droits de l'homme", disent-ils, mais "le droit d'être un homme"). Ils ont su faire usage du bulletin de vote pour intervenir  davantage dans le jeu politique, même s’ils restent très divisés politiquement. Le président de la République - poste, il est vrai, purement honorifique – a été un dalit entre 1997 et 2003.
Par ailleurs, l'urbanisation tend à fragiliser les barrières entre castes. Dans l'anonymat de la ville, comment savoir si mon voisin d'autobus ou de restaurant est un dalit ? Et la société marchande ignore les barrières de caste : à un dalit qui s'est enrichi par une réussite professionnelle, on ne refusera rien s'il peut payer. Le seul tabou qui résiste radicalement, c'est celui du mariage. Si urbanisé, si éduqué que l'on soit, on se marie dans sa caste. Un dalit n'épousera jamais qu'une dalit. La presse a rapporté l'atroce fait divers survenu en août 2001 : la population d'un village proche de Delhi a pendu deux jeunes du village qui s'aimaient alors qu'ils n'étaient pas de la même caste. Des crimes de ce genre sont rapportés régulièrement par la presse.

Mais l'Inde n'est encore urbanisée qu'à 35 %, même si l’exode rural est important.  La vie quotidienne, dans les villages, se modèle sur les traditions millénaires plus que sur les textes de la Constitution. La discrimination envers les dalits (et envers les tribals : voir encadré) reste forte. Evoquons quelques uns de ses aspects :

-       L'habitat reste séparé. Dans un bourg, il y a un quartier dalit; un dalit risque d’être violenté s'il emprunte une rue d'un quartier des hautes castes. Quant aux villages dalits, ils sont implantés à plusieurs centaines de mètres au moins du village principal. C'est un interdit que respectent même les pouvoirs publics quand ils construisent des maisons pour les dalits.
-       Des formes de ségrégation persistent dans les écoles, les services et les lieux publics (commerces, coiffeurs, transports); dans les restaurants, il n'est pas rare que des ustensiles distincts soient réservés aux dalits et aux membres des castes supérieures.
-       La pauvreté : 43% des dalits vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 23 % pour l’ensemble de la population indienne.
-       Les taux d’alphabétisation sont, pour l'ensemble de la population indienne, 63,8 % pour les hommes et 39,42 % pour les femmes; mais pour les dalits, ces taux sont  29,7 % et 18,05 % (chiffres de 2001).
-       Le travail. La très grande majorité des dalits sont des paysans sans terre. Ils gagnent leur vie à la journée en travaillant sur les terres de propriétaires de castes supérieures, pour des salaires dérisoires, sans aucune sécurité d'emploi. Deux millions de dalits seraient victimes du vieux système du "travail forcé", pourtant interdit pas la loi : ayant contracté (eux-mêmes ou leurs pères) une forte dette envers les propriétaires des terres qu’ils cultivent - notamment pour payer la dot de leur fille - ils sont tenus de travailler pour eux jusqu’au remboursement de la dette, qui ne se réalise presque jamais.
-       Les violences. Dans un passé récent, on a connu de véritables massacres de dalits : ainsi, en 1969, dans un village du Tamil Nadu, 44 Dalits (dont des enfants)  ont été brûlés vifs par une foule déchaînée. Autres meurtres collectifs en juillet 1991 (6 victimes), en juillet 1992 (14 victimes). En 1995, le nombre d’agressions diverses (« atrocities ») subies par des Dalits dans l’ensemble du pays s’élevait à 35 262. Ces actes restent souvent impunis, car les responsables de la police éconduisent les dalits qui viennent porter plainte ; il arrive cependant, plus souvent qu'hier, que les plaintes soient enregistrées et que les auteurs de violences soient condamnés par la justice. Le niveau de cette violence ne diminue pas. Il semblerait même que l'hostilité envers les dalits augmente, à mesure que leur conscience politique se renforce et qu'ils se font eux-mêmes plus combatifs. Autre source de violence : la jalousie provoquée par les mesures de "discrimination positive" dont bénéficient les dalits et les tribals. Quand un étudiant "de caste", ayant réussi un examen, se voit préférer un dalit moins qualifié, en raison des quotas à remplir, il peut traduire se frustration en actes violents.

L'Eglise catholique et les Dalits

       Les chrétiens, en Inde, sont environ 25 millions (dont 17 millions de catholiques), très inégalement répartis. Ces catholiques sont à 70 % des dalits ou des tribals, sauf dans l'Etat du Kerala. Ce petit Etat du Sud-Ouest se distingue du reste de l'Inde par bien des traits : démographique, économique, religieux, politique. Les chrétiens, implantés là dès le 2° ou 3° siècle, représentent 20 % de la population et assurent une très large part des services d’éducation et de santé.
Longtemps les dalits ont été victimes de discriminations à l'intérieur même des Eglises : il n'est pas si lointain le temps où les communautés protestantes qui pratiquaient la communion sous les deux espèces avaient deux calices, un pour les dalits, un pour les chrétiens "de caste". Côté catholique, on raconte qu’un évêque missionnaire européen dut venir en personne manier la pioche pour détruire le muret qui, dans la nef d’une église paroissiale, séparait les dalits des autres paroissiens. C’est tout récemment que les évêques indiens ont exigé que, dans les cimetières, les dalits ne soient plus enterrés à part.
       Les choses changent, mais lentement et non sans résistances. Les dalits ne constituent encore qu'une petite minorité parmi les évêques (12 évêques sur 150) et dans le clergé. Et on signale encore des incidents çà et là. Ainsi, il y quelques années, une église d'un village du Tamil Nadu est restée longtemps fermée à la suite des dissensions provoquées par le refus des responsables laïcs de la paroisse de faire passer dans le quartier dalit la procession de la statue de Marie. Les dalits de cette paroisse avaient intenté une action en justice, avec le concours d’un avocat jésuite, dalit lui-même !
La situation des dalits chrétiens, paradoxalement, est moins bonne que celle des dalits hindous. En effet, comme le système des castes n'existe théoriquement que dans l'hindouisme, les dalits chrétiens n'existent pas, juridiquement, aux yeux de l'Etat. Ils sont donc exclus des divers dispositifs de "discrimination positive" mis en place pour les autres dalits. Tout « séculier » qu'il soit, l’Etat indien opère donc une discrimination entre les dalits sur la base de la religion. C’est pourquoi, lors des recensements, beaucoup de dalits chrétiens se disent hindous et donnent un prénom hindou, afin de pouvoir bénéficier des quotas.
Depuis une trentaine d’années, se développe le courant hindouiste fondamentaliste – hindutva – pour qui seuls les hindous méritent d’être indiens.  La version politique de ce courant idéologico-religieux, le BJP, a exercé le pouvoir à Delhi jusqu’aux élections de mai 2004 et reste au gouvernement dans plusieurs des Etats (Gujerat, Karnataka). Les attaques contre l’islam et le christianisme, virulentes dans la presse et dans les manifestations de courant Hindutva, ont parfois pris des formes plus violentes : en juin 2002, plus de 2000 musulmans ont été massacrés au Gujarat. Des actes criminels, impensables hier, ont été commis contre des prêtres ou des pasteurs, des religieuses, des églises. Des campagnes de presse prennent pour cible les conversions des dalits et tribals au christianisme, dénoncées comme obtenues par la ruse ou par l'appât du gain. Certains Etats ont adopté des « lois anti-conversion ». Ailleurs, des campagnes sont entreprises pour ramener à l’hindouisme des villages tribals qui sont passés au christianisme. En aout 2008, plusieurs dizaines de chrétiens (certains disent plusieurs centaines) ont été massacrée en Orissa et de nombreuses églises détruites.
       Plusieurs raisons peuvent expliquer l'apparition de ce sentiment anti-chrétien, assez paradoxal quand on sait qu’une grande partie de l’élite culturelle et politique du pays a bénéficié des écoles ou universités tenues par des chrétiens. L'une des raisons - la principale ? - tient à l'engagement de nombreux prêtres, religieux et religieuses, depuis une vingtaine d'années surtout, dans la défense et la promotion des dalits et des tribals. Prenant au sérieux "l'option préférentielle pour les pauvres" pr^née par les textes officiels de l’Eglise, de nombreux instituts religieux (où d'ailleurs les vocations affluent) ont développé des programmes très concrets pour éduquer les dalits, leurs apprendre leurs droits, les aider à s'organiser. Ce faisant, ils suscitent l'hostilité tenace des propriétaires terriens, qui comprennent que des dalits mieux éduqués, plus conscients de leurs droits, plus organisés, n'offriront plus demain la main-d'oeuvre bon marché qu'ils constituent aujourd'hui. Les violences contre les chrétiens, les campagnes de calomnie (tous ces programmes de promotion sociale n’auraient pour objectif que la conversion au christianisme) pourraient avoir pour objectif de dissuader des religieux et religieuses de poursuivre leur engagement auprès des dalits.

La caste, problème international ?
Les dalits indiens, depuis quelques années, s'efforcent d'internationaliser la protestation contre les discriminations basées sur la caste. Les grandes déclarations internationales sur les droits de l’Homme, font-ils remarquer, condamnent toute discrimination fondée sur la race, parce que le racisme est une réalité qui concerne presque tous les pays du monde. Mais comme la discrimination sur la base de la caste ne concerne que quelques pays (Inde, Sri Lanka, Nepal, Japon), elle a été oubliée. Il est temps de réparer cet oubli. L'opinion internationale s'est mobilisée contre l'apartheid en Afrique du Sud, dont étaient victimes 30 millions de personnes. Pourquoi ne pas en faire autant pour les 270 millions de dalits et tribals ? Une campagne a été lancée en ce sens, qui a réussi à faire parler de cette question à la conférence de Durban, malgré l’opposition du gouvernement de Delhi.
Un réseau international s’est constitué (International Dalit solidarity network) pour faire du lobbying sur cette question. Voir le site : http://hrw.org/campaigns/caste/idsn_prepcom1fr.htm.
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 les Tribals

            On appelle "tribals" - ou encore "adivasis", ou  ST dans le jargon officiel : « scheduled tribes » - des populations qui, il y a quelques dizaines d’années, vivaient dans les forêts, de chasse et de cueillette (ailleurs, on dirait "aborigènes"). Avec la déforestation massive (et aussi les mesures prises pour sauvegarder les forêts restantes), ils ont dû modifier leur genre de vie, se mettant difficilement à l'agriculture. Le gouvernement construit des maisons pour favoriser leur intégration. Ils représentent 7 % de la population du pays, soit un peu plus de 70 millions. Mais, dans certaines régions, ils peuvent constituer la moitié, voire davantage, de la population. Leur religion n’étant pas très définie, c’est parmi eux que s’opérent les « conversions », notamment au christianisme.
           
Leur situation socio-politique est, par bien des aspects, analogue à celle des dalits; ils font aussi l'objet de politiques volontaristes de "discrimination positive".


Pour aller plus loin

·       Christophe Jaffrelot, Docteur Ambedkar : leader intouchable et père de la constitution indienne,  Presses de Sciences Po,  2000.
·       Christophe Jaffrelot, La démocratie en Inde : Religion, caste et politique,
      Edition Fayard, collection «L’espace du politique» - 1998 (France)
·       Christophe Jaffrelot, Inde : la démocratie par la caste, Fayard, 2005
·       Daya Parwar, Ma vie d’intouchable, La Découverte, 1996
·       J. Virama-Racine, Une vie de paria, le rire des asservis, Plon, coll "Terre humaine", 1995


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